[Judith Pierre, danseuse]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0923 FIGRPT0735 06
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 20 x 15 cm (épr.)
historique "Si, il est croyant, Patrick Dupont. Je le lui ai demandé à la fin du spectacle. Il m'a dit qu'il était très heureux. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a répondu que Dieu était à ses côtés". Judith, 12 ans. Deux grands yeux perchés très haut. Au dessus d'un cou interminable, un port de reine, comme on dit. Normal. Elle est danseuse. Un adorable petit rat, comme Odette Joyeux sait les imaginer. L'obligatoire chignon, bras et jambes qui n'en finissent pas, si minces et longs. Un maintien impeccable, voire rigide. Minuscule et frêle statue comme prête à s'envoler, Judith Pierre surpris l'une de ses plus fidèles, ses plus virulentes groupies, sa maman : la petite luciole, qui, émerveillement, dansa en juin [1986], seule, en ouverture de "Patrick Dupont et ses stars" au Théâtre romain de Fourvière, n'avait jamais auparavant fait de confidences à sa mère. Pas vraiment enflammée, ni exubérante, Judith. Plutôt du genre : "Patrick Dupont. Oui, j'ai dansé avec lui, quoi... C'est tout !". Danser avec Patrick Dupont... alors qu'au départ, l'enfant devait simplement offrir le traditionnel bouquet de roses à la grande star de la danse. Une joie pour toute la famille, un enchantement pour les yeux d'une mère : "Vous avez vu, la petite danseuse, c'est une Lyonnaise, une enfant d'ici... et en plus c'est la mienne !". Judith Pierre, elle, s'est presque tue. Secrète. Et pourtant, l'adorable, la gracieuse, la si discrète Judith pourrait tant dire sur la passion qui l'habite et qu'entretiennent avec ferveur et une profonde tendresse, son père et sa mère, tous deux enseignants, son grand frère Laurent, sa grande soeur Catherine. "Ce n'est pas parce que c'est ma fille. mais avouez qu'elle est jolie. Elle est si belle à regarder danser... " Avec la passion que voue Mme Pierre à sa fille, la jolie Judith aurait pu prendre la grosse tête. Mais le petit rat talentueux est visiblement une élève sage, sérieuse et très attachée à son chien et à ses poupées. Un petit rat qui ne rêve pas à l'opéra de Paris. A l'inverse de ses petites copines. Reprenons au début. Au retour de plusieurs années de coopération en Algérie, la maman de Judith installe ses filles devant un piano tout neuf. L'ainée, Catherine, s'accroche. La cadette, elle, a la bougeotte. Elle veut danser. Comme souvent les petites filles. A huit ans, Judith, main dans la main avec maman, pousse les portes du Conservatoire de Lyon : "Elle n'avait jamais dansé. Je me souviens que nous n'étions pas sûrs de nous, mon mari et moi. Nous nous demandions où nous mettions les pieds. Surtout, on ne savait pas qu'il était si difficile d'y rentrer. Nous l'aurions su, nous n'aurions jamais emmené Judith". Oui, mais voilà. Judith a quelque chose. Elle n'a jamais dansé, mais elle a une morphologie, une grâce indéniables. Elle est acceptée. Et n'arrête plus. Le conservatoire, les cours du Centre de danse de Lucien Mars et, [depuis 1987], une classe à horaires aménagés au lycée Jean-Moulin. En cinquième. Cours le matin. Danse l'après-midi. Musique aussi. "Le niveau est assez élevé. Nous avons beaucoup de travail" dit-elle. Danse, danse, danse... Mais détrompez-vous. Judith, dans un grand sourire, annonce qu'elle veut être... archéologue. D'un plié à une arabesque, elle multiplie les ampoules, et vient de gagner, à force d'heures de travail, ce qui fait la "vraie" danseuse, le cou de pied... Mais non, archéologue, a-t-elle dit. "Les contradictions de Judith", dit sa maman, qui ose parfois voir en Judith une future étoile. Pas forcément à tort. De l'enfant, on murmure qu'elle est sûrement actuellement le plus joli petit rat de Lyon. Au risque d'éveiller les jalousies. Ce que l'intéressée craint par dessus tout. Mais évidemment, on ne peut ne pas penser à l'Opéra de Paris. Judith ne veut pas en entendre parler. Sa famille a confiance dans les possibilités lyonnaises. Comment pourtant, ne pas entendre les conseils d'amis avisés, persuadés que Judith a toutes ses chances pour entrer dans le "saint des saints" si inaccessible de la danse. "Et si tu pouvais entrer à l'Opéra, Judith ? L'an prochain, si tu veux, on s'installe à Paris. Je vais avec toi". Mais pour l'instant, Judith ne veut pas quitter ses poupées et l'appartement de l'avenue Berthelot. "C'est dommage, à son âge, j'essaierais. C'est bête de laisser peut-être passer sa chance", commente la grande soeur, qui regrette un peu de ne pas savoir danser elle-même. Danseuse, archéologue... L'enfant en attendant continue à travailler avec acharnement. Dans son décor. Une chambre bien rangée, un peu austère. Sa collection de chaussons et de collants, une affiche de Patrick Dupont. Une glace contre le mur. Et le parquet lustré du salon, dont les meubles sont toujours poussés dans les coins. Là, Judith travaille, épaulée sans cesse par sa mère. "Ne croyez pas que j'ai poussé Judith vers la danse", se justifie Mme Pierre. "Elle est douée, c'est incontestable. Nous sommes très soudés autour d'elle". Mme Pierre, en tous cas, s'est pris de passion pour la danse, elle aussi. "On voit tant de jeunes désenchantés. On parle toujours des mêmes. J'ai, moi, découvert la rigueur, le travail, la formidable volonté des enfants dans les écoles de danse". Judith est toute droite. Petite fille, et grand oiseau. "Tu es belle, tu es la grâce, tu es la joie, c'est ton rôle", lui répète sa mère. Judith éclate de rire, enfin, et va taquiner d'un saut de chat, son chien. Source : "Judith pleine de grâce" / Sophie Mandrillon in Lyon Figaro, 6 mars 1987, p.33.

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